François Bayrou : "La loi Léonetti est exemplaire d’humanité et de compréhension"

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François Bayrou a rappelé ses positions sur les grands sujets de société, dans une interview au Monde des Religions, le mardi 6 mars.

Vous avez grandi dans un village du Béarn au sein d’une famille de paysans « cultivés », dites-vous. Quel rapport le jeune garçon que vous étiez dans les années 1950 entretenait-il avec la foi?

À la maison, la religion était largement institutionnelle. Au fond, mon père était voltairien. Il croyait à un grand architecte de l’univers et considérait qu’une loi commune était nécessaire pour que les individus se comportent bien. Dans mon village, on allait à la messe le dimanche, mais les hommes n’écoutaient rien. Ils bavardaient dans un brouhaha perpétuel au fond de l’église. Même le curé n’arrivait pas à se faire entendre. Les femmes, elles, marmonnaient en lisant leur livre de messe, à une époque où celle-ci était en latin et où personne n’en comprenait la substance. Le catholicisme de ces générations était le plus souvent une religion conventionnelle, une religion civile. C’était l’habitus de la microsociété villageoise à laquelle nous appartenions. Dans ma famille, qui n’avait rien de clérical, qui pouvait même en rire, j’avais néanmoins une propension à être intéressé par les questions de spiritualité. J’aimais les silences, la méditation. Plus tard, le rapport à la conviction religieuse de ma femme, de mes enfants aussi, m’a amené à une transformation. J’ai beaucoup plus la foi aujourd’hui que je ne l’avais dans ma jeunesse mais cette évolution intérieure s’est opérée sans rupture forte, dans une affirmation sereine de quelque chose qui est devenu crucial dans ma vie et dans celle des miens.

Quel est ce "quelque chose" devenu central dans votre vie?

"Le Verbe s’est fait chair et il a planté sa tente parmi nous", ce sont les premiers mots de l’Évangile selon saint Jean. Je donne la traduction littérale du grec. Le centre de ce que je crois, comme homme privé, sans aucune compétence ni autorité particulière, est dans cette phrase: un Dieu aimant, puissance créatrice dont la nature est amour, choisit de s’incarner dans un homme, dans un visage, et cette incarnation, ce choix de Dieu de se faire humblement homme, fait que tous les êtres humains sont désormais dignifiés, libérés et frères entre eux. Dieu s’est fait chair et ce qui s’est fait chair, c’est le Verbe, l’infini créateur. Je ne peux pas regarder le monde sans me dire – Descartes l’a écrit avant moi – que la création ne s’explique pas s’il n’y a pas un élan créateur. Quelqu’un a lancé le premier atome. Si Big Bang il y a eu, quelqu’un l’a initié. Voilà ce en quoi mon esprit borné croit. Et par cette puissance d’amour, nous tous, nous appartenons à la même nature profonde, nous sommes intimement solidaires, intimement liés, partie prenante les uns des autres. Ce qu’on nomme, dans le christianisme, la communion des saints. Nous ne sommes pas des individus isolés les uns des autres: nous sommes indissolublement liés les uns aux autres. Dans le Credo, c’est la chose la plus incroyablement émouvante. Si la communion des saints est vraie, vous rendez-vous compte des liens que cela tisse entre nous? Il n’y a plus ni esclaves, ni étrangers, ni même malades. Aussi faible que tu sois, tu peux me sauver. Tu es unique au monde et précieux. D’un point de vue purement anthropologique, c’est une révolution, l’entrée dans un autre monde. Par ailleurs, il y a les intuitions personnelles: je crois profondément que les morts ne sont pas morts, que leur présence demeure. J’ai toujours eu le sentiment que mes proches perdus me veillaient, me protégeaient, m’apportaient même une aide. Je n’en fais pas prosélytisme. C’est une certitude intime, pas une opinion.

"Vous ne pouvez croire avec la moitié de vous-même", avez-vous déclaré. Comment peut-on être un chrétien convaincu et un laïque intransigeant lorsque l’on doit se prononcer sur des sujets aux enjeux éthiques immenses tels que l’euthanasie, les lois de bioéthique, l’homoparentalité?

La laïcité, c’est la séparation de la foi religieuse et de la loi civile. C’est la reconnaissance d’un principe fondamental: ce n’est pas parce que vous croyez en quelque chose de tout votre être que vous avez le droit de l’imposer aux autres. Comme vous le savez, j’ai été le premier à affronter Nicolas Sarkozy le jour où il a déclaré que jamais l’instituteur n’égalerait le curé dans la transmission des valeurs parce que l’instituteur n’avait pas "donné sa vie". Qu’en sais-tu, et qui te donne la légitimité de proférer de si grossiers jugements? Sur tous ces sujets, en tout cas, j’essaie de chercher l’équilibre le plus juste possible. J’ai voté en faveur de la loi Léonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie. C’est une loi exemplaire d’humanité, de compréhension. Elle prend en compte avec respect, intuition et profondeur la volonté du malade, de son entourage, l’avis des médecins, la nécessité d’une délibération collective, le refus de la souffrance. Pour autant, je suis opposé à l’euthanasie active ou au suicide assisté. Respecter la vie, c’est respecter son issue. Il faut néanmoins, surtout quand le malade le souhaite, interdire tout acharnement et soulager sans trêve la douleur. Quant au débat sur l’homoparentalité, je dois dire que je ne le comprends pas. L’homoparentalité existe, on ne peut donc pas être "pour" ou "contre", en débattre. Des centaines de milliers d’enfants ont un père ou une mère homosexuel(le). Ces parents affrontent les mêmes difficultés que les autres à élever des enfants. Ils font aussi bien qu’ils le peuvent, et l’éducation n’est facile pour personne, hétéros ou homos. Concernant l’adoption, en France, elle est ouverte aux célibataires. Avant d’accorder ou non son agrément, la puissance publique doit-elle aller vérifier l’orientation sexuelle des adoptants? En tant que président de Conseil général, je m’y suis toujours opposé. D’une certaine manière, cela ne regarde personne. L’adoption par des parents homosexuels existe donc. Il ne reste donc plus qu’une seule question: la parentalité. Doit-on reconnaître le lien entre un enfant et son parent non adoptant? Ma réponse est oui. Être parent n’est pas qu’une question d’ordre biologique. C’est d’abord une question d’intention, d’attention, de soin, de responsabilité. L’enfant doit être protégé en cas de décès du parent adoptant. Probablement, par le passé, ai-je été moins ouvert sur ces questions. Puis j’ai compris que la vie se fraie toujours un chemin. Dans un barrage, il y a toujours une fissure où l’eau passe. J’ai pensé contre moi-même et cela m’a permis d’évoluer.

Allez-vous jusqu’à défendre l’aide médicale à la procréation pour les femmes homosexuelles et la gestation pour autrui, pratiques encore interdites sur notre territoire?

Pour l’instant, les femmes qui veulent avoir un enfant par insémination artificielle vont… en Belgique. Je ne vais pas considérer comme un crime un geste qui se pratique en Belgique! C’est de la vie qui vient, je ne vais pas la repousser avec des cris d’horreur! La gestation pour autrui? Bien sûr, c’est infiniment troublant, notamment si c’est acheté. Mais une fois que l’enfant est là, on ne peut pas en faire un sans-famille, ou un apatride! Seul l’intérêt de l’enfant doit primer. C’est l’intérêt de l’enfant que je regarde d’abord, que je regarde en premier. 

Donner ou non le droit à un enfant – né d’un donneur anonyme – d’avoir un jour accès à ses origines, est-ce une question d’ordre métaphysique pour vous? Comment y répondez-vous?

C’est une question très douloureuse et très complexe. J’ai vu souvent ce que cette recherche a de profond, d’obsédant, empêchant littéralement de penser à autre chose… Et en même temps, la mère biologique, elle, a cru à la parole de la société qui lui disait: "Portez l’enfant et nous l’élèverons." En tout cas, toute recherche ne peut se faire qu’avec l’accord de la mère biologique.

Sur la question de l’immigration et des sans papiers, on vous reproche (comme sur d’autres sujets) d’en rester à des positions de principe. Concrètement, si vous étiez élu Président de la République, que feriez-vous vis-à-vis des sans-papiers présents sur notre territoire et quelle politique d’immigration mettriez-vous en œuvre?

Je suis pour la régularisation des sans-papiers lorsqu’il y a insertion dans la société française, lorsqu’ils travaillent, parlent la langue et paient leurs impôts. Il faut reconnaître la vérité de leur situation dans la société française. C’est la misère qui amène les gens. Ceux qui luttent contre l’immigration doivent d’abord se battre pour le développement des pays pauvres. Mais il faut défendre des règles de précaution pour maîtriser cette immigration.

On assiste à une radicalisation de certaines minorités. Quel doit être le rôle des pouvoirs publics face aux revendications communautaires ?

Le premier rôle des pouvoirs publics est celui de l’exemplarité. Je ne participe pas aux manifestations communautaires, par exemple au dîner du Crif, non pas que je n’aime pas le judaïsme – je l’aime profondément – mais parce que mon idée de la République, c’est qu’on s’adresse aux citoyens en tant que citoyens, pas en tant que juifs, chrétiens, musulmans ou athées. En tout cas dans les rencontres publiques. Toute rencontre privée est bienvenue. Mais les politiques en rang d’oignon pour rechercher les suffrages de telle ou telle communauté, vraiment, cela me heurte. Et je crois que cela heurte profondément nombre de juifs, nombre de croyants des autres religions ou de rationalistes. Les symboles comptent beaucoup. De même quand j’assiste à une messe en tant que représentant de l’État, je ne communie pas, ni ne m’agenouille. J’essaie d’avoir la même attitude dans une mosquée, une synagogue, un temple ou une église. 

Vous illustrez bien la différence opérée par Max Weber entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Mais en ce qui concerne ces revendications communautaires, que proposez-vous concrètement?

Je veux respecter les sentiments des gens. Je suis opposé, par exemple, à la décision qui interdit aux mamans d’accompagner des groupes d’enfants dans les sorties extrascolaires quand elles portent le foulard. Songez à ce que ressentent leurs enfants! Et si des femmes, pas seulement musulmanes, veulent un créneau pour aller à la piscine sans être vues par des hommes, cela ne me gêne pas. Beaucoup de femmes, en raison de leur physique, ont envie d’être tranquilles. Personne n’a imposé la mixité du hammam! Soyons compréhensifs et généreux. On ne va pas faire une loi pour mettre de la nourriture casher ou halal partout, et pas davantage pour l’interdire. Une société, c’est comme une famille. Quand l’un de ses membres a une pratique ou une réticence alimentaire, on tente de trouver dans le menu quelque chose qui convienne à tous. Il faut être équilibré, raisonnable et les pieds sur terre. Faire flamber des passions sur ces sujets c’est un grand danger pour la société française. Et cela, je le dis en tant que défenseur d’une laïcité intransigeante.

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