"Changeons vraiment le cours des choses et ressaisissons le destin de la France"

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François Bayrou a répondu aux questions des journalistes du Figaro Magazine, dans une grande interview publiée samedi 21 janvier.

Le Figaro Magazine - La France vient de se voir retirer son triple A par une agence de notation. Une autre le maintient. Finalement, est-ce si grave?

François Bayrou - On peut toujours se rassurer à bon compte. Mais bien sûr, c'est grave, dans l'ordre des symboles comme dans celui des réalités! Symboliquement, c'est une atteinte au statut de la France, en Europe et dans le monde. Nous nous étions institués - à mon sens imprudemment et souvent maladroitement - comme un des deux pays codirigeants de l'Europe, et voilà que l'attelage devient boiteux, et c'est nous qui boitons! Concrètement, ce déclassement ne sera pas sans conséquence sur les conditions du refinancement de notre dette publique mais aussi des institutions dépendantes de l'Etat. Au bout du compte, dans l'économie réelle, c'est toute la distribution de crédit aux entreprises et aux ménages, donc la croissance et l'emploi, qui risquent d'en être affectés.

Les réactions politiques vous semblent-elles à la hauteur?

Chacun joue son rôle: le gouvernement minimise, les socialistes crient haro sur Sarkozy! En vérité, l'UMP et le PS portent différemment mais conjointement la responsabilité de cette dégradation. Les années Sarkozy sont directement responsables, par leur imprudence et leur imprévoyance, mais le PS est mal placé pour condamner. Non seulement parce qu'ils étaient au pouvoir de 1997 à 2002, on a vu comment. Depuis dix ans, dans l'opposition, ils n'ont cessé de hurler et de manifester non pas pour que l'on dépense moins, mais pour que l'on dépense plus! Et le programme de François Hollande est insoutenable.

Il peut profiter de la situation pour l'amender...

C'est toute l'inspiration du projet socialiste qui est insoutenable. Et cette inspiration, évidemment, ne changera pas. Tout comme est invraisemblable l'idée que le pouvoir actuel pourrait faire en cinq semaines ce qu'il n'a pas fait en cinq ans. Faute d'avoir compris à temps que les déficits et la dette étaient pour la France un piège mortel, on a couru vers la dépense à crédit. Aujourd'hui, c'est le surendettement. De tout cela, j'ai averti les gouvernants et les Français à temps et à contretemps. Maintenant, il n'est plus temps de pleurer sur le lait renversé, il faut unir les forces du pays pour le redresser et le reconstruire.

La reconquête du triple A doit-elle être un objectif?

C'est un objectif sain, mais il ne faut pas tromper les Français: ce sera l'affaire de plusieurs années.

Retrouver l'équilibre des finances publiques dès 2015, comme vous le proposez, passe inévitablement par des sacrifices. Etes-vous prêt à l'assumer?

Le redressement du pays, ce n'est pas un projet de sacrifices! C'est le contraire. Je récuse l'expression «du sang et des larmes». C'est aujourd'hui que nous vivons dans l'angoisse perpétuelle, dans le chômage, dans la dépendance à nos financiers, à 70 % étrangers. Un pays endetté est un pays malheureux. Ce sont les familles qui trinquent. C'est aujourd'hui que nous sommes le pays le plus dépressif du monde! Je veux que nous retrouvions l'aisance, l'optimisme, la confiance en l'avenir. Mon projet suppose, certes, que nous fassions collectivement des efforts, mais je préfère des années d'efforts à des années de plaintes et de lamentations.

Ce projet, on l'attend toujours! Certains vous reprochent de rester volontairement dans le flou...

Eh bien, entrons dans le concret et le précis!

Concrètement, comment reviendrez-vous à l'équilibre budgétaire?

Notre déficit aujourd'hui est de 100 milliards par an. Je propose de le combler par 50 milliards d'économies sur les dépenses et 50 milliards de recettes nouvelles, en trois années budgétaires et demie. Les 50 milliards à économiser sont à mettre en rapport avec nos 1100 milliards de dépenses publiques chaque année. Et les 50 milliards de recettes avec presque 1000 milliards de recettes actuelles. Sur chacun des deux postes, je propose donc un effort d'à peine 5 %. Ce n'est pas rien, mais c'est faisable. Toutes les familles, toutes les entreprises qui ont eu à affronter des difficultés le comprendront. Cet effort, je propose de le faire en quatre étapes. Après la présidentielle de 2012, sur une demi-année, nous devrons réduire le déficit de 10 milliards; puis de 30 milliards chacune des années 2013, 2014 et 2015.

Quelles dépenses réduirez-vous?

Notre principe sera zéro progression de la dépense publique. Si nous gelons à son niveau actuel la somme des dépenses de l'Etat, de la Sécu, des collectivités locales, nous récupérerons mécaniquement, en raison de l'inflation, quelque 25 milliards par an. Cela ne veut pas dire bloquer tous les postes: les salaires ou les retraites doivent respirer. Mais pendant deux ou trois ans, chaque fois qu'il y aura une augmentation, il devra y avoir une réduction dans un autre chapitre pour que le total n'augmente pas.

Vous ne prévoyez pas de coupes particulières dans tel ou tel budget?

Bien sûr, il faudra des décisions. Mais les économies ne pourront provenir à terme que de réformes de structure. La règle du zéro progression pendant deux ou trois ans, si elle est respectée, nous rendra notre équilibre.

Poursuivrez-vous la politique du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite?

Cela ne peut pas se faire à l'aveugle. Il y a des secteurs qui doivent être protégés: par exemple, l'éducation. D'autres qui doivent être réorganisés. Cette politique du «un sur deux» n'a permis d'économiser que 0,5 milliard par an (0,5 % de notre déficit)! Il ne faut pas procéder de manière mécanique mais en posant les hiérarchies, en s'interrogeant sur les missions de l'Etat. Commençons symboliquement par le sommet. Par exemple, l'Elysée dépense 110 millions d'euros par an. Je suis persuadé qu'on peut faire 20 % d'économies.

Ce n'est pas avec ça que vous viendrez à bout du déficit!

S'il vous plaît, ne négligez pas les vertus de l'exemplarité.

Comment obtiendrez-vous des collectivités locales qu'elles réduisent leurs dépenses?

Tout le monde devra participer à l'effort. D'où la nécessité d'installer un climat d'union nationale. Un pacte entre l'Etat et les collectivités locales décidera des réformes de structure, de mettre fin aux empilements, aux doublons.

Et si les élus locaux, malgré tout, continuent de vouloir embaucher de nouveaux fonctionnaires?

Les collectivités tirent une part importante de leurs ressources des transferts financiers de l'État. La discussion ne peut donc pas être un dialogue de sourds. Et ne mésestimez pas l'exigence que représentera, pour tous, la décision dans les urnes du peuple français. Ce sera un vrai référendum impératif pour en finir avec les mauvaises habitudes.

Les dépenses de santé se gonflent «naturellement». Direz-vous aux Français que leur protection sociale doit être réduite?

Il s'agit de trouver 20 milliards sur un budget de 550 (quelque 3 %) en trois ans. Cela demandera des efforts, mais là encore, c'est faisable. La santé est une part essentielle du contrat social en France. Mais je ne doute pas que l'on puisse mieux équilibrer dépenses et recettes. Après tout, il est en France (par exemple en Alsace- Moselle) des caisses de Sécurité sociale équilibrées.

Et pour augmenter les recettes, quelles sont vos solutions?

Des niches fiscales sont injustes et ne servent à rien. Par exemple, les heures supplémentaires sont un élément de souplesse utile pour l'entreprise comme pour les salariés, mais rien ne saurait justifier que les revenus qui en proviennent ne soient pas soumis à l'impôt, comme tout autre revenu.

Cela ne suffira pas.

Presque 2 milliards, tout de même! C'est œuvre de justice. Ensuite, je suis favorable à une augmentation modérée de la TVA: 2 points, soit 20 milliards d'euros. Enfin, pour l'impôt sur le revenu, je propose de passer la tranche de 41 % à 45 % et de créer une tranche marginale nouvelle à 50 % pour les revenus supérieurs à 250 000 euros par an. Évidemment, je conserverai le quotient familial, parce que je considère que la naissance et l'éducation des enfants, dans tous les milieux sociaux, sont un enjeu crucial pour la France.

La France est déjà championne d'Europe des prélèvements. Vous ne craignez pas de décourager l'activité et l'emploi?

Nous sommes surtout champions du monde de la dépense publique. Réduire la dépense, équilibrer les recettes, voilà le seul chemin à suivre! Car le véritable ennemi de l'emploi, c'est le déficit! Il entraîne la défiance, l'explosion des taux d'intérêt! Il faut faire du déficit perpétuel l'ennemi public du pays.

Vous seriez prêt à voter la règle d'or maintenant?

Je ne change pas d'avis selon les circonstances. Je suis donc prêt à la voter. Il faut faire respecter ce principe élémentaire qui est qu'on ne peut pas financer le train de vie ordinaire de l'État, ses frais généraux quotidiens, par l'emprunt.

Baisse des dépenses, hausse des impôts: ne serait-il pas plus juste, et moins douloureux, de dire aux Français qu'ils devront travailler plus?

C'est vrai, le redressement n'est pas seulement une affaire de comptes publics. Quand bien même on couperait à la hache dans les dépenses - ce que je ne souhaite pas -, notre déficit extérieur serait toujours là! Pour vendre, il faut produire; c'est la clé de tout. Les 35 heures étaient fautives dans leur conception et leur application. Je sais aussi que beaucoup d'entreprises redoutent d'y toucher parce qu'elles ont appris à faire avec. Parlons-en! Mais il y a d'autres sujets. Notamment la question du contrat de travail. J'ai toujours été favorable à un contrat de travail unique, un CDI avec une possibilité de sortie sous conditions. Les partenaires sociaux en seront saisis. Il faut changer le climat social. Je suis pour que les salariés soient représentés au conseil d'administration des grandes entreprises avec droit de vote. C'est un pas vers la cogestion. Je l'assume.

Etes-vous prêt à aller vers plus de flexibilité sur le marché du travail?

Ne cherchons pas des mots compliqués. Le marché du travail a besoin de souplesse.

Vous n'êtes pas favorable à la TVA sociale...

Est-ce qu'on peut mettre un peu d'ordre dans les esprits? La TVA est un impôt. Dans l'état dramatique où sont nos finances publiques, j'estime qu'il faut affecter une augmentation modérée de cet impôt à la réduction de notre déficit. La question des charges des entreprises est judicieuse. Mais il existe d'autres voies. Par exemple, on nous annonce un prélèvement sur les transactions financières? Fort bien! Affectons son produit à la baisse des charges sur le travail (moins une part pour aider les pays pauvres).

«Produire en France», dites-vous. Mais ce n'est pas un label qui suffira...

Qu'en savez-vous? Quatre mois après la publication de mon livre, alors que ce sujet est devenu le thème central de la campagne, je constate que de plus en plus d'entreprises mettent en avant le fait qu'elles produisent en France. Si elles le font, c'est bien qu'elles perçoivent une attente des consommateurs. Comprenez-moi bien: j'en appelle à une révolution culturelle, la révolution de la production. A la fin des années 80 - et le paradoxe est que les socialistes étaient au pouvoir -, nous qui étions un pays d'ingénieurs, nous avons choisi, sans le dire, de devenir un pays de financiers. Nous avons abdiqué nos valeurs européennes «continentales» au profit du modèle financier anglo-saxon. Et la «rupture» de Nicolas Sarkozy en 2007 allait dans le même sens. Aujourd'hui, nous devons retrouver notre cap, tourner à nouveau le pays vers l'invention, la recherche, les méthodes de production. Reconquérir les produits pour reconquérir la production. Donner aux entreprises les marges pour investir. C'est au prochain président de créer un mouvement psychologique pour que les grandes entreprises, les entreprises moyennes, les chercheurs, les innovateurs, les commerciaux, les collectivités locales, les syndicats, les organisations professionnelles et l'État travaillent enfin vers ce but ensemble. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé la création d'un Commissariat aux stratégies. Voyez la Chine! Dieu sait que je nourris d'immenses réserves sur son modèle politique, mais sa force est d'être gérée à trente ans, parfois à cinquante! En France, nous n'avons pas de vision à trente ans, ni à trois ans, pas même à trente jours ; parfois même pas à trente heures!

Pensez-vous que la Grèce puisse échapper à la faillite?

Dans cette affaire, on a accumulé les erreurs de stratégie. Accepter le défaut partiel d'un Etat de la zone euro, c'était fragiliser toute la zone. Dès l'origine, j'ai défendu l'idée qu'il fallait envisager que la BCE intervienne en assureur de dernier ressort. Ce n'était pas orthodoxe, peut-être, mais le chaos, nous risquons de le voir, est plus dangereux encore.

Sarkozy pense la même chose, mais comment pouvait-il en convaincre les Allemands?

Encore aurait-il fallu essayer! Imaginez ce qu'aurait fait le général de Gaulle: il aurait convoqué une conférence de presse, et il aurait annoncé aux Français et à l'Europe: «Voilà la position française!»... Il aurait pris à témoin l'opinion allemande et elle aurait peut-être évolué. Au bout du chemin, vous le verrez, il y aura une intervention de la BCE, parce que personne, et les Allemands pas plus que les autres, ne voudra laisser exploser le système. Mais à quel prix, et que de dégâts avant d'en arriver là!

Vous en appelez régulièrement à l'unité nationale. Si vous gagnez en mai, cela signifie-t-il la fin des partis actuels?

La conséquence, heureuse, sera à coup sûr qu'ils devront se reconstruire sur des bases nouvelles. Mais les grands courants du pays ne disparaîtront pas, et ce n'est pas souhaitable. Il y a des courants de pensée et il faut qu'ils s'organisent. Simplement les partis actuels sont plombés par leurs mauvaises habitudes, par les «affaires», par les réseaux qu'ils ont organisés. Cela aussi, les Français le sanctionneront. La reconstruction du pays sera aussi une reconstruction morale.

Mais qui imposera l'unité nationale?

Les Français, par leur vote. Personne ne peut résister à une telle injonction, assortie de l'imminence des législatives. Ceux qui diraient non seraient durement sanctionnés. Ne nous y trompons pas: le défi du redressement qui s'impose à nous est aussi difficile - et peut-être davantage - que celui que nous avons eu à relever en 1945 et en 1958. Par deux fois, nous y sommes parvenus parce que toutes les sensibilités politiques ont été mobilisées autour d'un objectif commun, et parce que tous les citoyens ont eu la certitude que, dans le redressement du pays, leurs convictions étaient prises en compte. Il faut au prochain gouvernement une assise large pour une action politique de long terme, avec des gens dont les Français soient certains qu'ils ne servent pas des intérêts catégoriels ou partisans.

Au nom de cette union nationale, seriez-vous prêt à rejoindre, après leur éventuelle élection, François Hollande ou Nicolas Sarkozy?

L'unité nationale peut-elle être pilotée par le principal responsable de l'UMP ou par celui qui a été pendant dix ans celui du PS? Bien sûr que non. Ce serait de nouveau la guerre de tranchées, un camp contre l'autre. Les Français ont droit à une démarche politique nouvelle.

Souhaitez-vous la création d'un «parti du Président»?

Pour moi, le Président ne peut être l'homme d'un parti. De son élection naîtra un rassemblement. On ne fait pas un gouvernement d'unité nationale tout seul. Le rassemblement, pour autant, ne sera pas une auberge espagnole: avant le premier tour de la présidentielle, je soumettrai une charte des principes, clairs et précis, intransigeants sur un certain nombre de valeurs, qui servira de ciment à la majorité nouvelle.

Acheter français, corruption des élites, systèmes UMP-PS, vous parlez comme Marine Le Pen. Ce n'est pas très centriste...

Moins que tout autre, le centre ne peut être mollesse! Quand il a glissé vers l'ambiguïté, il a failli disparaître. Je n'oublie jamais que je suis l'héritier, et je le revendique, d'un mouvement qui a dit non aux accords de Munich, qui a été une des formations principales du Conseil national de la Résistance. Plus on porte des convictions équilibrées, plus il faut faire preuve de tranchant, de courage et de détermination dans leur affirmation.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de chasser sur les terres du FN?

Qu'ils lisent la Constitution! Notre République, c'est «le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple». On m'accuse de populisme? J'aime le peuple, j'en viens. J'ai grandi dans un village d'ouvriers et de paysans. Ce devrait être une fierté de s'intéresser au peuple. Ceux qui disent «peuple» comme une injure ne comprennent rien à la France, et ne savent pas ce que peuple veut dire, quelle richesse et quelle force il y a en lui.

Que vous a-t-il manqué en 2007 pour être au second tour?

En 2007, ce qui l'a emporté au bout du compte, c'est le remords du 21 avril 2002. Peut-être aussi n'étais-je pas tout à fait prêt, et les Français non plus.

Et aujourd'hui?

Aujourd'hui, les Français le sont, et je le suis aussi. Notre pays est prêt à faire ce grand choix. Je le crois et je le sais. Les gens sont en colère, ils ont besoin de sanctionner les fautes. Je les comprends. En même temps, au fond d'eux-mêmes, ils savent que les «solutions» que portent les extrêmes, si elles étaient appliquées, seraient terribles pour la France. Dresser les Français les uns contre les autres en regardant leur origine, sortir de l'euro, si nous vivions cela, ce serait misère et violence. Voter extrême, c'est donc garantir la victoire de ceux que j'appelle PPP, «partis provisoirement principaux». Ma candidature, c'est au contraire une proposition républicaine pour changer vraiment le cours des choses et ressaisir le destin de la France.

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